Colloque sur Aimé Césaire à Cerisy-la-Salle

« des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes » (Cahier d’un retour au pays natal)

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Je viens de rentrer d’un magnifique colloque sur Aimé Césaire en occasion du centenaire de sa naissance, qui a eu lieu dans le château de Cerisy-la-Salle, en Haute Normandie, du 4 à l’11 septembre 2013. C’était une semaine extrêmement riche, culturellement et humainement. Le colloque Césaire 2013 : « parole due » a été organisé par Romuald Fonkoua et Anne Douaire-Banny et a accueilli de nombreux participants venant de tous les continents et – c’est l’une de choses qui a véritablement contribué à la réussite du colloque – de plusieurs générations : des spécialistes qui ont connu personnellement Césaire et qui ont consacré toute leur vie à l’étude de son œuvre, (Lilyan Kesteloot, Mamadou Ba, Bernadette Cailler, Christian La Poussinière, René Hénane, Liliane Pestre de Almeida, Daniel Maximin etc.) ; des professeurs comme Jean Jonassaint, Mary Gallagher, Jean Bessière, Kunio Tsunekawa, Anny Dominique Curtius ; de très jeunes chercheurs qui ont expérimenté de nouveaux parcours critiques dans l’œuvre du poète martiniquais, comme Florian Alix, Louise Hardwick, Malik Noël-Ferdinand, Tiphaine Malfettes, Nicolas Hossard, Delphine Rumeau. Malheureusement, je ne peux pas citer ici tous les participants et surtout les arguments de leurs communications et des longs et passionants débats auxquelles ils ont donné lieu (mais vous retrouvez le programme complet ici, avec les résumés). Les actes du colloque devraient paraître prochainement – avant la fin de l’année – chez Présence Africaine et j’en manquerai pas d’en rendre compte ici.

Pour l’instant, ce que j’aimerai surtout retenir c’est l’atmosphère d’amitié et de convivialité que cet endroit magnifique, géré de manière vraiment impeccable par une nombreuse équipe, a rendu possible. Nous avons eu le temps pour discuter ensemble de poésie et de littérature, pour nous connaître et nous amuser, pour partager les repas et le Calvados, pour faire des promenades dans cette magnifique campagne et pour lire des poèmes et des contes et aussi pour chanter une « opéra », avec les participants de l’autre colloque sur « Moralité et cognition », qui avait lieu au même temps à Cerisy.

Les participants au colloque

Les participants au colloque

N’étant pas spécialiste de Césaire, je n’ai pas présenté de communication, mais je eu vraiment un grand plaisir d’écouter et d’apprendre beaucoup de choses sur ce poète incontournable. Ce qui filtrait à travers les communications et les débats, c’était vraiment une passion inépuisable des mots, un cri qui demande à être écouté et interprété, sans jamais épuiser sa puissance poétique et sa force d’arpenter le monde et d’en pister les chemins de liberté. « La poésie », écrivait Césaire en Poésie et connaissance, « est cette démarche qui par le mot, l’image, le mythe, l’amour et l’humour m’installe au cœur vivant de moi-même et du monde ». Je crois que pendant ces journées de Cerisy, grâce à Césaire et à ses exégètes, on a tous eu cette vivante sensation d’être installés de manière nouvelle et plus intense en soi-même et dans le monde.

Je vous laisse avec un poème formidable, tiré de Moi, laminaire (1982), que j’ai découvert pendant le colloque grâce à la généreuse interprétation de notre ami Malik (qui est aussi un grand conteur antillais et qui a cadencé la “parole de nuit” d’une cour qui ne voulait pas dormir):

 

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le mot est père des saints

le mot est mère des saints

avec le mot couresse on peut traverser un fleuve

peuplé de caïmans

il m’arrive de dessiner un mot sur le sol

avec un mot frais on peut traverser le désert

d’une journée

il y a des mots bâtons-de-nage pour écarter les squales

il y a des mots iguanes

il y a des mots subtils ce sont des mots phasmes

il y a des mots d’ombre avec des réveils en colère

d’étincelles

il y a des mots Shango

il m’ arrive de nager de ruse sur le dos d’ un mot dauphin

(Aimé Césaire, La poésie, Paris, Seuil, 2006, p. 416)